Ambivalence

Une réflexion m'est venue ce matin. (J'avais pourtant rien demandé.)

Je ne sais pas si certains d'entre vous se souviennent de cet extrait de L'avion du Clan des Sept:

Suzie prit l’avion dans ses bras.
« Il est trop lourd pour toi, dit Pierre. Donne-le-moi. Je le porterai. »
Suzie eut son rire effronté.
« Si tu crois que je ne devine pas! Tu veux faire croire aux gens que nous rencontrerons qu’il t’appartient, dit-elle. Ah! Tu rougis! Je vous connais bien, les Sept. Vous êtes vaniteux comme des paons! Mais l’avion est à moi, je ne le cède à personne. »

Pendant longtemps, j’ai lu ce passage comme une preuve que Enid Blyton n’aimait pas tant les Sept qu’elle le laissait croire, et se servait de Suzie, beaucoup plus amusante et semblable à elle (notez comme son portrait, dans les derniers livres, ressemble à celui de Claude), pour dénoncer leurs défauts -- ce qui me convenait parfaitement étant donné que je préférais Suzie aux Sept, et que j'étais ravie de la voir rabattre le caquet de Pierre. Cependant, à présent que je décode un peu mieux la question des rôles sexués chez Blyton, je me demande si je n’ai pas fait fausse route.
Les garçons blytoniens – les bons garçons en tout cas – offrent toujours aux filles de porter leur fardeau. C’est un geste galant, gracieux: aux garçons d’épargner l’effort inutile au « sexe faible ». C’est ce que Pierre fait ici, en proposant aimablement de porter la charge de Suzie, l’avion devant en effet peser assez lourd. Il n’aurait donc aucun autre dessein que d’obéir machinalement à la galanterie qu’on lui a enseignée, valide en toutes circonstances, et ce malgré le fait qu’il déteste Suzie. Le geste est donc doublement noble. Le mouvement ainsi compris, la réplique de Suzie la peint sous un tout autre jour: à la généreuse proposition, elle répond avec mépris, en attribuant à Pierre une arrière-pensée prétentieuse et égoïste; elle insulte complètement son intégrité morale. On comprend alors que Pierre rougisse: non de honte d’avoir été découvert, comme la première lecture le laisse supposer, mais de colère et d’indignation. Cependant il n’ose pas répondre, de peur que Suzie prenne la mouche et s’en aille avec son superbe jouet. Le paragraphe suivant confirme cette impression, insistant sur l’horrible personnalité de Suzie et le calvaire que ce devait être de l’avoir pour sœur.

Il est notable, cependant, que le narrateur n’essaie pas d’éclaircir l’ambivalence de cette courte scène. Il aurait suffi de quelques mots pour cela. Rien ne vient expliciter la proposition de Pierre et sa réaction: était-ce galanterie ou hypocrisie, est-il honteux ou furieux… Quant à Suzie, même s’il est plusieurs fois assuré qu’elle est très maligne et ne ment pas, elle pourrait parfaitement, dans son dédain et sa jalousie, supposer à tort le pire. Sur cet extrait, rien ne permet de trancher. Il faut donc regarder le reste du roman. Le point de vue épousé est essentiellement celui des Sept: Suzie est une peste. Et pourtant, ici et là, émergent quelques îlots proposant une vision un peu différente, par exemple lorsqu’il est fait mention que Pierre « jugeait Suzie beaucoup moins antipathique depuis qu’elle possédait un si bel avion », ce qui indiquerait un comportement passablement hypocrite de la part du chef du Clan.

Mais à part cela, il semble que le jugement final soit réservé au lectorat.

Qu’en pense-t-il donc ? (Dites-moi...)

Cécile a écrit:

Une réflexion m'est venue ce matin. (J'avais pourtant rien demandé.)

Je ne sais pas si certains d'entre vous se souviennent de cet extrait de L'avion du Clan des Sept:

Suzie prit l’avion dans ses bras.
« Il est trop lourd pour toi, dit Pierre. Donne-le-moi. Je le porterai. »
Suzie eut son rire effronté.
« Si tu crois que je ne devine pas! Tu veux faire croire aux gens que nous rencontrerons qu’il t’appartient, dit-elle. Ah! Tu rougis! Je vous connais bien, les Sept. Vous êtes vaniteux comme des paons! Mais l’avion est à moi, je ne le cède à personne. »

Pendant longtemps, j’ai lu ce passage comme une preuve que Enid Blyton n’aimait pas tant les Sept qu’elle le laissait croire, et se servait de Suzie, beaucoup plus amusante et semblable à elle (notez comme son portrait, dans les derniers livres, ressemble à celui de Claude), pour dénoncer leurs défauts -- ce qui me convenait parfaitement étant donné que je préférais Suzie aux Sept, et que j'étais ravie de la voir rabattre le caquet de Pierre. Cependant, à présent que je décode un peu mieux la question des rôles sexués chez Blyton, je me demande si je n’ai pas fait fausse route.
Les garçons blytoniens – les bons garçons en tout cas – offrent toujours aux filles de porter leur fardeau. C’est un geste galant, gracieux: aux garçons d’épargner l’effort inutile au « sexe faible ». C’est ce que Pierre fait ici, en proposant aimablement de porter la charge de Suzie, l’avion devant en effet peser assez lourd. Il n’aurait donc aucun autre dessein que d’obéir machinalement à la galanterie qu’on lui a enseignée, valide en toutes circonstances, et ce malgré le fait qu’il déteste Suzie. Le geste est donc doublement noble. Le mouvement ainsi compris, la réplique de Suzie la peint sous un tout autre jour: à la généreuse proposition, elle répond avec mépris, en attribuant à Pierre une arrière-pensée prétentieuse et égoïste; elle insulte complètement son intégrité morale. On comprend alors que Pierre rougisse: non de honte d’avoir été découvert, comme la première lecture le laisse supposer, mais de colère et d’indignation. Cependant il n’ose pas répondre, de peur que Suzie prenne la mouche et s’en aille avec son superbe jouet. Le paragraphe suivant confirme cette impression, insistant sur l’horrible personnalité de Suzie et le calvaire que ce devait être de l’avoir pour sœur.

Il est notable, cependant, que le narrateur n’essaie pas d’éclaircir l’ambivalence de cette courte scène. Il aurait suffi de quelques mots pour cela. Rien ne vient expliciter la proposition de Pierre et sa réaction: était-ce galanterie ou hypocrisie, est-il honteux ou furieux… Quant à Suzie, même s’il est plusieurs fois assuré qu’elle est très maligne et ne ment pas, elle pourrait parfaitement, dans son dédain et sa jalousie, supposer à tort le pire. Sur cet extrait, rien ne permet de trancher. Il faut donc regarder le reste du roman. Le point de vue épousé est essentiellement celui des Sept: Suzie est une peste. Et pourtant, ici et là, émergent quelques îlots proposant une vision un peu différente, par exemple lorsqu’il est fait mention que Pierre « jugeait Suzie beaucoup moins antipathique depuis qu’elle possédait un si bel avion », ce qui indiquerait un comportement passablement hypocrite de la part du chef du Clan.

Mais à part cela, il semble que le jugement final soit réservé au lectorat.

Qu’en pense-t-il donc ? (Dites-moi...)

Sree, ça, c'est pour toi !
Tu te plains souvent quon ne parle pas des "sept" !
Moi, je suis désolé... Je connais très mal le "Clan des sept"...

Bien entendu, Serge, et je ne vais pas me priver pour en débattre, depuis le temps que je réclame une discussion sur cette série !
Pour commencer, Suzie, je le conviens, c'est une peste mais qui a la langue bien pendue et qui sait se défendre contre ceux qu'elle appelle des "poseurs" !
Par contre, pour l'hypocrisie dont tu taxes le clan des sept, eh bien, je ne suis pas d'accord !
Les membres du clan des sept viennent souvent en aide aux gens dans la gêne. Ils sont souvent à l'origine d'actions dignes d'éloges : ne réhabilitent-ils pas un vieux jardinier et sa femme ? n'aident-ils pas à chercher une écolière disparue ? ne dénichent-ils pas les médailles volées d'un garde-champêtre à la retraite ? ne se mettent-ils pas en quatre pour porter secours à un cheval malade et à son maître ruiné ? Ainsi, à maintes reprises, Pierre et sa bande s’envolent au secours de ceux qui sont dans l'embarras, et ils s'en tirent à leur honneur.
Et Suzie ? que fait-elle sinon mettre des bâtons dans les roues des Sept : elle a pour plus grand plaisir de les irriter et les mettre en colère, cette fille insupportable !
Ceci dit, je ne vais pas nier le fait que les Sept sont sérieux comme tout : mais est-ce vraiment leur faute ? Chaque fois que Pam a une crise de fou rire ou que Babette fait une blague, elles sont sévèrement réprimandées par Pierre. Je me demandais des fois comment les autres faisaient pour supporter leur chef si autoritaire et si despotique !
Quant à la galanterie, je crois que cela vient de l'éducation. Comme les membres du clan des sept sont des gens bien comme on dit, il est tout à fait normal que Pierre, Jacques, Colin et Georges se montrent serviables et complaisants envers les filles. Dans la médaille du clan des sept, au cours d'une nuit passée dans le parc des Hêtraies à éclaircir un mystère, les garçons entourent les filles pour qu’elles sentent moins le vent froid et pour qu’elles soient le plus au chaud. Bravo pour eux !
Et plusieurs fois, j'ai moi-même ri, moi fan fervent du clan des sept, des scènes où Suzie rive leur clou à ces sept enfants ! Mais là s'arrête mon admiration pour elle !
Alors, vive les Clan des Sept !

Je soutiens Sree, même si ma mémoire me fait défaut...
Je ne sais plus si j'ai lu en premier Le Club des Cinq ou Le Clan des Sept.
Bien que je sois un fan inconditionnel des 5 Détectives, je garde un très bon souvenir des Sept : leurs lieux de rendez-vous (cabane) et leurs mots de passe.
La série est un peu oubliée de nos jours mais il faut dire que peu de titres sont encore édités...

Sree, ma petite étude ne portait que sur le minuscule extrait cité! Le but était de montrer à quel point un extrait apparemment simple peut être perçu de deux manières radicalement différentes... et ta réaction le montre bien, car je suppose qu'à la lecture tu as plutôt opté pour la deuxième interprétation!

Nulle part je n'ai dit que je trouvais hypocrites les Sept dans leurs actions générales... juste dans les actions particulières citées ici. Bien sûr, les Sept sont dans leurs actes des sortes de modèles... mais lorsque j'étais petite, je ne pouvais m'empêcher de penser que Suzie avait un peu raison quand elle les trouvait prétentieux et orgueilleux, Pierre surtout! C'est un sentiment très partagé sur le forum anglais, d'ailleurs, et qui explique en partie l'impopularité de la série. A l'inverse, je n'ai jamais vraiment considéré Suzie comme une peste, sûrement parce que j'adore les fortes personnalités féminines et qu'il y en a trop peu chez Blyton. :pirat:

La question que je me pose depuis longtemps, c'est: quelle était l'opinion de Blyton sur ce sujet? Voulait-elle vraiment faire passer Suzie pour une peste finie et ce sur tous les plans, et les Sept comme des enfants presque parfaits? ou au contraire Suzie était-elle un moyen sympathique de balancer la pompe et le sérieux des Sept? N'oublions pas que le portrait fait de Suzie comme une petite fille directe, honnête, loyale, digne, rebelle, têtue et passablement colérique, est étonnamment semblable à celui de Claude, elle-même modelée sur Blyton. (Si, si! relisez Le Télescope du Clan des Sept, on trouve quelque chose comme: "Elle ressemble à un garçon, dit Jeannette, et tous les garçons la regardèrent de travers." )

Suzie en Claude ? Ben c'est moi qui te regarde de travers, Cécile !
La soeur de Jacques est curieuse, elle fourre son nez dans les affaires qui ne la regardent pas, elle ne peut jamais occuper des siennes propres, donc tout le contraire de Claude !
Celle-ci, on le sait bien, n'est aucunement curieuse. Etant enfant unique, elle prend toutes les décisions d'elle-même, est extrêmement indépendante et parfois même réservée. Qui plus est, Claude veut toujours se faire passer pour un garçon, c'est d'ailleurs pour cela qu'elle s'est fait couper les cheveux très court. Suzie, elle, a un look de fille, comme le montrent les illustrations de Jeanne Hives.
Dans un clan des sept, je ne me rappelle plus le titre, Jacques est furieux parce que Suzie a fouillé son tiroir à la recherche du tout dernier mot de passe des Sept et, d'un ton irrité, il lance à sa soeur : "Oh, c'est bien d'une fille. Un garçon ne ferait jamais une chose pareille !".
Sinon, est-ce que tu aimes cette série, Cécile ?

fan_indien a écrit:

Suzie en Claude ? Ben c'est moi qui te regarde de travers, Cécile !
La soeur de Jacques est curieuse, elle fourre son nez dans les affaires qui ne la regardent pas, elle ne peut jamais occuper des siennes propres, donc tout le contraire de Claude !
Celle-ci, on le sait bien, n'est aucunement curieuse. Etant enfant unique, elle prend toutes les décisions d'elle-même, est extrêmement indépendante et parfois même réservée. Qui plus est, Claude veut toujours se faire passer pour un garçon, c'est d'ailleurs pour cela qu'elle s'est fait couper les cheveux très court. Suzie, elle, a un look de fille, comme le montrent les illustrations de Jeanne Hives.
Dans un clan des sept, je ne me rappelle plus le titre, Jacques est furieux parce que Suzie a fouillé son tiroir à la recherche du tout dernier mot de passe des Sept et, d'un ton irrité, il lance à sa soeur : "Oh, c'est bien d'une fille. Un garçon ne ferait jamais une chose pareille !".
Sinon, est-ce que tu aimes cette série, Cécile ?

Du point de vue de la personnalité, c'est vrai que Suzie est différente de Claude, mais ça ne t'a pas frappé, toi, la façon dont les filles la décrivent dans Le Télescope? ou des phrases comme: "Suzie avait autant de courage qu'un garçon, jamais elle ne se plaignait." Chez Blyton, la masculinité ne se limite pas au look, elle implique toute une attitude: ce n'est pas seulement parce qu'elle a les cheveux courts que Claude est "comme un garçon", c'est parce qu'elle est franche, courageuse, décidée, impulsive, et j'en passe.

Sinon, pour la série, oui, je l'aime bien. C'était la seule autre que j'ai lu enfant, avec le Club des Cinq. Je lui trouve des défauts (entre autres, je l'ai déjà dit, le manque d'humour des Sept qui a provoqué en grande partie mon rejet vers Suzie, et une structure trop répétitive), mais il y a aussi des qualités. La dimension locale des histoires, leur aspect anecdotique parfois, et la dimension très humaine de certains mystères, tout cela est très agréable.
Quant à la société secrète, c'est une passion partagée par beaucoup d'enfants, et une constante de la littérature enfantine! Quand j'étais petite, j'aimais beaucoup un roman qui s'appelait "Bout d'ficelle ou le secret du Chemin-Vert", qui racontait l'histoire d'un groupe de collégiens qui formait une société secrète visant à construire une maison de poupée pour une petite voisine défavorisée...

Bien sûr que je m'en étais aperçu, Cécile, que moultes fois Suzie se comportait tel un garçon! Il est même dit, dans le téléscope du clan des sept, qu'elle ne ment jamais, par fierté, et qu'elle défend ses amis envers et contre tous. Et, bien entendu, il s'agit là de qualités masculines, donc je lui tire mon chapeau, à cette peste!
Ce que j'apprécie moins chez elle, c'est la mauvaise habitude qu'elle a à toujours fourrer son nez partout.

Pour continuer sur ce sujet qui inspire, Suzie me plaît à cause du rôle qu'elle joue.

Ma famille a toujours beaucoup aimé l'humour provocateur et irrévérencieux, et j'ai grandi dans un cadre où l'on considère que chaque pouvoir doit avoir son contrepoint humoristique. Suzie remplit exactement ce rôle dans la série des Sept, puisque Pierre ne laisse personne faire de l'humour chez lui, et encore moins ce genre d'humour!
Dans le Club des Cinq, ce rôle est rempli par les plaisanteries de Mick et l'esprit rebelle de Claude; dans les histoires avec Sylvain et Virginie, par Toufou; dans les Cinq Détectives, par Fatty bien sûr ; etc.

PS: Pour ce qui est de fourrer son nez partout, c'est un trait de sorcière, et je verrai très bien Suzie en sorcière, pas toi?

Dommage : je n'ai jamais accroché aux "Clan des sept"...
A cause des histoires trop simplettes... du manque de dépaysement, (Comme Mystery Serie, les aventures sont locales) et justement, du côté trop "jeu" du clan des sept...
Les "mots de passe", le "chef", tout cela me rebute...
C'est pourquoi je préfère Les cinq, ou les Barney, ou les relations sont naturelles...
Pour admettre un "clan", une "bande", il me faut les "Chiche-Capon" de Pierre Véry, ou "La guerre des boutons" de Louis Pergaud...

Mais j'adore vos analyses des personnages... C'est très intéressant...

Suzie en sorcière ? Hihi !!! Il ne manquerait plus que çà !
Oui, sur le point humoristique, je suis d'accord avec toi : moi aussi j'aime bcp ça, d'autant plus que dans mon entourage à moi, plus on lance des répliques du tac au tac à son interlocuteur, et plus on est disons ... heu ... tenu en haute estime !
A noter que ces types de personnes sont généralement assez admirées dans leur cercle. Et justement c'est le cas de Suzie. La peur secrète de Pierre, c'est que Suzie fasse des étincelles si jamais elle rejoint le clan des sept !
Mais ça c'est une autre histoire !

fan_indien a écrit:

La peur secrète de Pierre, c'est que Suzie fasse des étincelles si jamais elle rejoint le clan des sept !
Mais ça c'est une autre histoire !

Voilà une grande vérité! Après tout, Pierre a une telle façon d'exercer son autorité qu'on a l'impression qu'il a toujours peur de la perdre...