Me revoici après trois jours de congés d’affilée, trois jours riches en repas en famille, fêtes, gâteaux de toute sorte par dizaines, le tout couronné par un magnifique feu d’artifice qui a été tiré avant-hier samedi en début de soirée sur la plage Marina, deuxième plus grande plage du monde.
Il a fallu que je fasse un gros effort pour retourner au boulot aujourd’hui lundi, mais vous m’avouerez qu’après un tel week-end, il est dur de reprendre le collier ! :sleep:
En tout cas, je lis avec le plus vif intérêt tous vos messages postés depuis ma dernière visite ici et auxquels je compte bien répondre peu à peu.
En attendant, voici, pour votre plaisir à tous, un chapitre tiré de « Bennett et Mortimer », intitulé « Partie de pêche ». Présentation de la scène : Ben et Morty, dans une dernière tentative pour se débarrasser d’un paquet de poissons reçus en cadeaux d’un groupe de pêcheurs français, se donnent un mal fou pour repêcher ces présents écailleux coincés… dans la cheminée du professeur Wilkinson ! Brrloum brrloumpff !
Place maintenant à l’extrait :
Au comble de l’embarras, Bennett resta sans mot dire, pendant que le directeur considérait les mains noires, les cheveux pleins de suie du jeune garçon.
« Peut-on vous demander à quoi vous passiez votre temps, Bennett ? »
Impossible de deviner, d’après le ton du directeur, s’il était simplement surpris ou en colère.
« Je… j’étais en train de mettre ma tête dans la cheminée, m’sieur.
— C’était précisément mon impression, mais j’avoue que le but de cette occupation m’échappe totalement.
— Eh bien… c’était pour voir si je pouvais regarder jusqu’en haut, m’sieur. »
M. Pemberton-Oakes, surnommé « le Grand Chef Sioux », enseignait des garçons de onze ans depuis trois décennies et un lustre. Il ne s’étonnait donc plus de leurs fantaisies et ne trouva nullement étrange que Bennett eût éprouvé le besoin de vérifier
de visu la noirceur interne des cheminées.
« Je suppose, Bennett, dit le directeur satisfait, que M. Wilkinson vous avait envoyé ici pour que vous l’attendiez. Mais vous n’auriez pas dû monter sans changer de chaussures. Vous portez encore vos souliers de football. Allez les changer immédiatement.
— Bien, m’sieur. »
Bennett quitta la pièce et constata que M. Pemberton-Oakes ne se préparait pas à le suivre. Donc, il était venu voir M. Wilkinson et l’attendrait dans son bureau. Que faire ?
Bennett descendit au vestiaire et méditait encore lorsque Mortimer vint lui donner une grande tape dans le dos :
« Alors, tout est arrangé ? demanda Mortimer joyeusement. Moi, je me suis débrouillé pour garder Wilkie dehors, mais tu n’es pas venu me faire signe qu’il pouvait rentrer. Tu as drôlement bien fait d’enlever ce paquet maintenant, parce que Wilkie va allumer son feu.
— Quoi ? »
Bennett avait fait volte-face comme une girouette.
« Oui, il fait des frais parce que le Grand Chef Sioux va venir le voir. »
Le regard de Bennett demeurait vitreux ; un doute horrible naquit dans l’esprit de Mortimer :
« Tu… tu ne veux pas dire que tu as bousillé le travail ? »
Bennett inclina la tête.
« Le Grand Chef Sioux est entré pendant que j’étais en train, et je me suis fait attraper parce que j’essayais de pénétrer dans la cheminée sans avoir enlevé mes souliers de football.
— Pas de veine ! Mais pourquoi ne les avais-tu pas enlevés avant ?
— Ca ne m’aurait pas aidé à mieux voir, gros malin ! Je n’ai pas les orteils phosphorescents.
— Catastrophe, Bennett ! Compte seulement : Primo, nous n’avons pas jeté le poisson quand M. Carter nous avait dit de le faire. Secundo, nous avons ouvert une boutique de friture dans la chambre noire. Tertio, M. Wilkinson va être asphyxié dès qu’il aura allumé du feu. Et quarto, eh bien quarto, papa dit toujours qu’un malheur ne vient ja… »
Mais Bennett n’écoutait pas. Subitement, il se frappa le front et s’écria :
« J’y suis, Morty. On va aller à la pêche !
— Sûrement pas, répondit Mortimer avec décision. Nous avons assez à faire avec le poisson que nous avons déjà sur les bras.
— Justement. Si on ne peut pas l’avoir par en bas, on l’aura par en haut. Tout ce qu’il nous faut, c’est un crochet et une longue ficelle. »
La cheminée de la chambre de M. Wilkinson donnait sur un toit en terrasse, interdit aux élèves, mais facile à atteindre par la fenêtre d’un grenier.
« Et s’il ne vient pas ? objecta Mortimer lorsque Bennett eut exposé son plan.
— C’est notre dernière chance, répliqua Bennett. Je vais me débrouiller pour trouver un crochet ; toi, déniche-moi un bout de ficelle. »
Quelques minutes plus tard, armés d’un vieux porte-manteau qui servirait d’hameçon, d’une ficelle rallongée d’un lacet de chaussure qui servirait de ligne, et d’une poignée de porte pour lester le tout, les garçons gagnèrent sur la pointe des pieds le grenier, enjambèrent la fenêtre et se trouvèrent sur le toit en terrasse, prêts à l’action.
Pour la deuxième fois en vingt minutes, l’heure H avait sonné !
M. Wilkinson, assis sur une chaise dure et inconfortable devant sa cheminée où il n’avait pas eu le temps d’allumer de feu, espérait que M. Pemberton-Oakes allait bientôt se décider à partir et à rendre disponible le seul fauteuil de son bureau.
« Nous devons particulièrement imprégner ces jeunes esprits, discourait le directeur, de la portée pratique des problèmes d’algèbre et bien leur faire sentir que les x et les y ne sont que des symboles représentant… »
M. Wilkinson n’écoutait plus. Il venait d’apercevoir dans la cheminée une chose bien plus absurde, bien plus incongrue qu’un problème d’algèbre ! Ce ne pouvait être qu’une illusion d’optique. Et cependant…
« Car, si nous ne parvenons pas à stimuler l’intérêt des élèves…, » poursuivit le directeur.
Mais il s’interrompit net lorsqu’il constata que l’intérêt de son interlocuteur avait, lui aussi, besoin d’être stimulé.
« Eh bien, Wilkinson ? Etant donné l’importance de la question, il me semble que vous pourriez me prêter un peu plus d’at… Dieux du Ciel ! »
M. Pemberton-Oakes venait d’apercevoir la « chose », lui aussi, et les deux hommes contemplèrent ensemble, du même regard fixe, ce porte-manteau lesté d’une poignée de porte qui se balançait doucement de côté et d’autre dans la cheminée, à la façon d’un pendule.
Pendant quelques instants, ils regardèrent en silence, leurs yeux courant de la droite vers la gauche, et inversement, comme ceux des spectateurs, pendant un match de tennis.
Puis M. Wilkinson éclata :
« Je… je… Brrloum brrloumpff !
— Qu’est-ce que c’est donc que cela ? demanda le directeur.
— C’est un porte-manteau lesté d’une…
— Mais oui, mais oui, je le vois bien, Wilkinson. Mais quelle est l’utilité de cet engin dans votre cheminée ? Vous en servez-vous comme d’une crémaillère ?
— Absolument pas. Je n’ai pas besoin de crémaillère. Je voudrais bien savoir ce que je ferais d’une crémaillère !
— Très bien, très bien. En ce cas, il y a quelqu’un sur la terrasse. Vous devriez monter voir qui c’est.
— J’y cours ! » répondit M. Wilkinson.
Il se précipita hors de la pièce de l’allure dont un joueur de rugby s’échappe d’une mêlée avec le ballon. La porte claqua derrière lui avec une telle force qu’un tableau accroché au mur s’abattit sur le sol et qu’un courant d’air glacé tourbillonna autour des chevilles du directeur.
Sur le toit, les choses allaient mal. Les difficultés avaient commencé dès l’arrivée du commando Pêche à la ligne.
Pour commencer, toute une forêt de cheminées occupait la terrasse, et il était impossible de deviner laquelle appartenait en propre à M. Wilkinson.
« On ne peut pas les essayer toutes, expliqua Bennett. On va être obligés de faire am stram gram et de compter sur notre bonne étoile. »
Mortimer proposa mieux :
« M. Wilkinson doit avoir allumé son feu, à l’heure qu’il est. Donc, sa chambre est une de celles d’où il sort de la fumée. »
Bennett repartit avec impatience :
« Mortimer, tu as autant de cervelle qu’une linotte. S’il a allumé son feu, la fumée est en train de refouler dans son bureau. Le mieux serait de prendre toutes celles qui n’ont pas de fumée, une à une, et d’écouter si on entend tousser et cracher en bas. »
Ce qui fut fait, mais sans résultat. Enfin, Bennett choisit une cheminée au hasard et y jeta sa ligne.
« C’est celle-ci, à moins que ce ne soit la suivante, décida-t-il. Parce que les fenêtres de Wilkie donnent sur la cour, par conséquent… Morty ! Ça mord ! Il y a quelque chose au bout de la ligne !
— Chic, alors ! et du premier coup ! Tu arrives à hisser ?
— Sais pas. Je vais essayer. »
Bennett manoeuvra son crochet dans tous les sens et, bientôt, ses efforts furent récompensés. Il tira tout doucement à lui et sentit que l’hameçon remontait en ramenant la prise.
« Je l’ai ! C’est formidable ! » annonça-t-il, les yeux brillants de triomphe.
Mortimer exécuta une danse joyeuse autour de la cheminée pour fêter la victoire. Ce coup d’essai était réellement un coup de maître !
Non, ce n’en était pas un. L’hameçon émergea bien à la surface, mais il ne ramenait qu’un nid d’étourneau abandonné.
« Quelle malchance ! s’écria Bennett. Un nid d’oiseau ! Remarque que j’aurais dû deviner, parce que je n’aurais jamais pu enfoncer le paquet si haut dans la cheminée. »
Un nouvel essai fut tenté. Cette fois-ci la corde se déroula sans que la moindre résistance fût rencontrée.
« On s’est trompé de cheminée, grommela Bennett, déçu. Regarde : le crochet se balance dans tous les sens comme il veut.
— Comment veux-tu que je regarde ? demanda Mortimer. C’est tout noir et je ne vois rien du tout ! »
Mais si Mortimer ne voyait pas, M. Wilkinson, lui, voyait. Car c’était précisément à ce moment qu’il avait aperçu le porte-manteau et qu’il avait perdu le fil du discours de M. Pemberton-Oakes.
Ni Bennnet ni Mortimer n’avaient la moindre idée de l’intérêt avec lequel leurs recherches étaient suivies par en vas, et après quelques essais infructueux, Bennett ramena la ligne et passa à la cheminée suivante.
« Je crois que nous venons de pêcher à la ligne dans le salon de Mme Smith, commenta-t-il. Si elle avait vu ce machin descendre dans sa cheminée, elle aurait peut-être trouvé ça un peu drôle. »
Avant de poursuivre ses investigations, Bennett résolut de jeter un coup d’œil dans la cheminée suivante : si elle était vide, il croyait pouvoir déceler un peu de lumière au bout du conduit. En conséquence, il appuya son visage contre le trou et écarquilla les yeux.
« Qu’est-ce que tu fais ? demanda Mortimer avec impatience.
— Je regarde l’obscurité pour trouver la lumière », répondit Bennett.
Mortimer n’entendit pas cette réponse ; mais les parois de la cheminée la réverbérèrent, la multiplièrent et la répercutèrent, grossie comme par un haut-parleur, dans la cheminée de Mme Smith, où aboutissait la cheminée en question !
Mme Smith était justement chez elle, occupée à se verser une tasse de thé, lorsque cette voix sépulcrale résonna à ses oreilles. Par bonheur, Mme Smith avait les nerfs solides. Cependant, cette voix étrange la fit sauter en l’air ; la théière qu’elle tenait dans ses mains se transforma en lance d’incendie et arrosa abondamment une plante grasse qui se trouvait à sa portée.
Lorsque Mme Smith eut repris ses esprits, elle se demanda longuement ce que signifiait ce message surnaturel qui venait de lui parvenir : « Je regarde l’obscurité pour trouver la lumière. » Quelle prophétie, quelle formule magique était-ce là ?
Bennett, sans se douter de l’impression qu’il venait de produire, releva la tête.
« Je ne vois rien du tout, annonça-t-il.
— Moi, je vois, répondit Mortimer. Je vois Wilkie qui franchit la fenêtre et qui va bientôt passer à l’attaque. »
Les craintes de Mortimer se justifièrent.
M. Wilkinson traversa la terrasse à l’allure d’un avion à réaction atterrissant sur une piste militaire :
« Je… je… Brrloum brrloumpff ! Qu’est-ce que… qu’est-ce que vous venez faire sur ce toit ? Vous n’avez aucun droit d’être sur ce toit. Vous êtes des petits somnambules ! Des petits funambules ! Vous savez fort bien que ce toit est interdit aux élèves.
— Oui, m’sieur.
— Je me demande quelquefois si vous ne souffrez pas d’une aliénation mentale pathologique ! tonnait M. Wilkinson. J’ai déjà rencontré pas mal de gens stupides, mais l’être au point de s’amuser à balancer des objets contondants au bout d’une ficelle à l’intérieur d’un conduit de fumée, cela dépasse les limites tolérables de la stupidité ! »
Il s’arrêta pour reprendre haleine.
« On vous demande pardon, m’sieur, s’excusa Bennett. Mais on n’était pas sûrs que c’était votre cheminée. On espérait seulement.
— Petit flibustier ! Quelle importance y a-t-il que la cheminée soit à moi ou à quelqu’un d’autre ? Ce n’est pas une raison pour y déposer des objets hétéroclites ! Vous prenez-vous par hasard pour le père Noël ?
M. Wilkinson, dont la voix s’éraillait par moment, gesticulait comme un chef d’orchestre.
« Voilà, m’sieur, je vais vous expliquer, répliqua Bennett. Nous voulions nous assurer que votre cheminée n’était pas bouchée, pour le cas où vous voudriez allumer du feu.
— Et pourquoi voulez-vous que ma cheminée se bouche toute seule ?
— Ce sont des choses qui arrivent, m’sieur. Et la preuve, c’est que nous avons trouvé ceci dans la vôtre. »
Bennett ramassa le nid d’étourneau et l’exhiba au professeur qui le considéra avec une vive antipathie. Une cheminée bouchée n’a jamais fait plaisir à personne. Peut-être ces polissons avaient-ils eu réellement d’excellentes intentions ? M. Wilkinson se gratta l’oreille, fit « hum ! hum ! » et sentit son indignation décroître de quelques degrés. Cependant, le règlement du collège…
« Descendez vous débarbouiller, ordonna le professeur. Ensuite, je vous donnerai un travail supplémentaire qui vous empêchera de retomber dans vos méfaits de toute la journée. »
Les garçons redescendirent de forte méchante humeur.
« Je ne comprends vraiment pas ce qui s’est passé, dit Bennett, en transférant la suie collée à sa figure sur la serviette de toilette et le pourtour du lavabo. Si le crochet est descendu jusqu’en bas, pourquoi n’a-t-il pas été arrêté par le paquet de poissons ?
— C’est un des grands mystères de l’humanité, répondit Mortimer. Comme les menhirs ou les soucoupes volantes. »
A ce moment, Briggs entra dans le vestiaire.
« Depuis le temps que je vous cherche, vous autres ! s’écria-t-il. Je viens de vous rendre un signalé service !
— Tu es chic, dit Mortimer. Quel service ?
— Hé bien, Mme Smith n’a pas voulu que je joue au football parce que je suis enrhumé, alors je me suis dit que je ferais aussi bien de faire un saut jusque chez Wilkie pour récupérer votre poisson.
— Hein ? »
Bennett fit volte-face brusquement :
« Tu prétends que c’est toi qui as retiré le poisson de la cheminée ?
— Puisque je te le dis. Et d’ailleurs, ça n’a pas été plus difficile que çà ! Je t’avais bien dit à déjeuner, l’autre jour, que j’étais capable de le faire. »
Ils trouvèrent le fameux paquet dans le placard à provisions de Briggs.
« Je vais enterrer ces saletés de poissons aussitôt après le dîner, déclara Bennett. Et je ne veux plus entendre parler de poissons de toute ma vie. »
A ce moment, la cloche du dîner sonna.
« Pour ça, dit Briggs avec un large sourire, tu vas être défrisé tout de suite. Tu sais ce qu’on a pour dîner, ce soir ? Des sardines ! »
C’est à rire jusqu’aux larmes, hein, les amis ! Moi en tout cas j’en ai un point de côté !