Voici une liste non exhaustive de différences constatées entre les deux traductions allemandes :
Détails marrants d´abord : François se méfie de la fermière en raison de ses dents en or, Claude à cause de ses cheveux teints dans l´ancienne version, mais il s´agit des chaussures et des fausses lunettes dans la version moderne. La trace de pas ne provient plus d´une chaussure de taille 41, mais de taille 43 (la taille de pied de François). Les Allemands ont grandi - et avec eux leurs pieds - ces 30 dernières années. Pendant leur séjour en France, Mick avait eu des boutons et François mal au coeur, dans la version moderne, François dit juste qu´ils ont été bien nourris. Le roman avait été traduit avant le traité de l´Elysée de 1963, ceci explique peut-être cela.
Comme dans la nouvelle traduction française, on a exclu certaines choses „inutiles“, comme cette belle histoire d´araignée : alors que Claude dort à la belle étoile, on peut lire qu´une araignée court sur sa main et réfléchit un instant si elle doit tisser sa toile entre le pouce et l´index de la fillette endormie, puis c´est un hérisson qui passe. Dans la version moderne, si le hérisson est bien là, l´araignée, elle, a disparu. Quel dommage !
Evidemment, de très nombreux termes un peu vieillots (Herrje, Liebe Zeit, altes Haus, etc) ont laissé place à des expressions plus modernes, plus fun, plus cool. Dans dix ans, toutes ces expressions seront à leur tour démodées, faudra-t-il alors les remplacer, et ainsi de suite ? Le vocabulaire du C5 était déjà dépassé pour la petite fille que j´étais en 78-80, et alors ? Avais-je moins de plaisir pour autant ? Cela m´empêchait-il de m´identifier à Claude ? Non, bien sûr. La langue évolue, certes, mais ce n´est pas une raison pour faire passer certaines choses aux oubliettes.
Parenthèse proustienne : Proust est connu pour ses phrases interminables et compliquées, mais ce qui fait – aussi - sa qualité, c´est la richesse du vocabulaire employé. Permettez-moi de citer deux exemples : Savez-vous ce qu´on appelait un „en-tous-cas“ ou bien ce que signifie l´expression „venir en cure-dent“ ? Le premier était une sorte de croisement entre un parapluie et une ombrelle. On vient en cure-dent quand on arrive chez quelqu´un après le repas. Magnifique, non ?
Bref. Retournons à nos moutons. Du point de vue de la grammaire, peu de choses à noter, si ce n´est la disparition totale du subjonctif 1 en discours indirect (pour Anne, Mina et les autres germanophones). Ce qui m´a quand même un peu étonnée, c´est un changement quasiment systématique et parfois radical des adjectifs du registre des sentiments et des émotions. Dans la version moderne, on n´est plus „dépité“, mais „exaspéré“, plus „étonné“, mais „agacé“ par exemple. Et souvent, les enfants ne „disent“ plus, mais „râlent“, „grognent“, „rouspètent“, „grondent“, „bougonnent“, ces termes étant bien sûr inexacts, puisque traduits, mais je ne vois pas l´intérêt d´en faire la liste en allemand ici.
Tout cela n´est guère choquant ? Certes, mais que pensez-vous de ceci : on a rendu Mick un peu plus taquin encore, assez vache même, mais surtout, ce qui est flagrant, c´est qu´on a fait d´Annie un personnage encore plus peureux, plus anxieux, voire lâche. De nombreuses expressions semblent avoir été rajoutées. Pourquoi ?
Dans l´ancienne version, Claude est très souvent décrite comme étant „comme un garçon“, que ce soit par son physique ou par ses manières. Presque toutes ces mentions ont disparu dans la nouvelle, tout comme des remarques de François et Mick du style „elle est un vrai garçon manqué“, qui deviennent „elle est courageuse“. Par contre, on est quand même pour l´égalité des sexes : dans l´ancienne version, quand les deux fillettes rentrent à la maison et apprennent la venue des garçons, Tante Cécile leur dit que ceux-ci pourront les aider à transporter des choses. Claude ne bronche pas, toute à sa joie de les revoir. Dans la nouvelle version, elle rétorque : „Avons-nous l´air d´être si vieilles et faibles ?“ De même, on a „gommé“ la remarque de François, qui renonce à la couverture, préférant la laisser aux filles.
Mais il est sans doute temps d´expliquer le titre de ce sujet. Alors voilà : les habitudes alimentaires semblent avoir été adaptées à notre époque. Passons sur „le café de l´après-midi“ qui est devenu „l´heure du thé“, ni l´un ni l´autre n´étant de l´habitude des petits Allemands. On ne mange plus une part de gâteau, mais un morceau de pain, on ne mange plus un biscuit, mais un biscuit au blé complet, on ne boit plus de jus d´ananas, mais de l´eau de source ! Claude et Annie ne rêvent plus de saucisses, mais de rôti. Quant aux barres de chocolat dégustées avec tant de plaisir, elles ont tout bonnement disparu ! Et même notre bon vieux Dag est concerné après avoir pris un bon repas : „comme pour dire c´était très bon, mais j´en aurais bien repris un deuxième“ devient „comme pour exprimer ainsi : ça me suffit“.
Ce n´est plus Fünf Freunde, mais Fünf am Tag !